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La Guerre des graines

Depuis quelques années, le monde agricole voient certaines multinationales étendre leur monopole sur la production et la vente des graines et semences. Parallèlement, un véritable arsenal réglementaire impose aux paysans de plus en plus de restrictions quant à leur utilisation. Pour faire simple: Les agriculteurs n'avaient pas le droit de ressemer les graines issues de leurs plantations, parce que le "brevet" de la graine appartient à une industrie semencière (OGM ou non). Ils ont donc été contraints à racheter leurs graines auprès de ces mêmes industries.

Incroyable, invraisemblable, me direz-vous? Et pourtant.

Quelle est cette guerre juridique menée autour de la privatisation du vivant?


A partir de 1994, le Conseil de l’Union Européenne institue par règlement un régime de protection des semences végétales : toutes les espèces protégées par un Certificat d’Obtention Végétale (COV)1 sont désormais la propriété exclusive des industries semencières ayant obtenu par procédé artificiel ces dernières, et jouissant du monopole de la vente.

Dans le domaine agricole, les agriculteurs utilisaient jusque là de manière libre et gratuite les graines qu’ils avaient achetées : appelées «semences de ferme »2, les agriculteurs les récoltaient sur leur production, effectuaient une sélection, puis les réensemençaient l’année suivante.


Théoriquement, cette réutilisation de semences protégées par COV était déjà interdite3 ; sauf pour 21 espèces de semences4, pour lesquelles l’agriculteur est autorisé à réutiliser, mais moyennant des royalties reversées à l’obtenteur des COV. Mais dans les faits, il n’existait aucune loi répressive à l’encontre de cette infraction. La pratique était donc tolérée.

Hors, le vote du 28 novembre 2011 en faveur de la loi proposée par le sénateur UMP Christian Demuynk établi une réglementation stricte : il interdit alors aux agriculteurs de reproduire leurs semences lorsqu’elles sont issues de variétés protégées par un COV français. Par décret suite à cette loi, partir du moment où l’agriculteur ne rémunère pas les obtenteurs, sa production et les fruits de sa production sont considérés comme des « contrefaçons », et risque de voir sa récolte saisie ou détruite!


Quand aux semences dites « paysannes »6 (c'est-à-dire les semences « artisanales », développées à la ferme et n’étant pas propriété industrielle), elles sont à priori l’objet d’un vide juridique, mais peuvent être subtilement concernées par le décret sur les contrefaçons: Si un agriculteur cultive une espèce non protégée par un COV, il devra en assurer la preuve afin de ne pas payer de taxe.


Le problème de fond est la question de la mainmise de la filière semencière sur l’accès aux graines, de par l’extension des droits de propriétés à l’étendue des espèces végétales et aux graines qui en sont issues.


Il y a également un risque d’impact sur la biodiversité cultivée par les agriculteurs et les jardiniers dans les champs et les jardins : réensemencer sans cesse la même espèce issue de la recherche, ne va pas accroître la diversité des cultures.

Enfin, si le COV est une alternative française au « brevet sur le vivant » américain, il y a la crainte des associations paysanne d’un glissement vers ce régime, qui lui exclurait totalement pour un agriculteur de ressemer les récoltes protégées. On peut citer le cas de la firme MONSANTO, qui est allé jusqu’à créer une espèce de « police des semences » qui traque les agriculteurs utilisant des semences de leurs récoltes1.

Enfin, en 2018, un pas vers la liberté. Les députés du Parlement Européen décident de rendre leur liberté aux agriculteurs bio en mettant fin à la loi qui punissait la vente des semences de ferme: Redoutant une uniformisation des cultures et un appauvrissement des sols et de la biodiversité, les députés s'engagent en faveur du développement de l'agriculture biologique et autorise dès lors les agriculteurs à pouvoir vendre les graines issues de leurs propres récoltes.

Mais la joie ne dure pas longtemps: Quelques mois seulement après le vote des députés, le Conseil Constitutionnel décide tout bonnement de l'annuler, et criminalise à nouveau la vente des semences de ferme, favorisant de ce fait le monopole des industries semencières (Monsanto, Dupont, etc).

La Guerre des graines continue donc, et que peut-il arriver demain?

Le funeste projet d'accord de libre-échange, entériné avec le Canada (CETA), enterré puis nouvellement exhumé avec les Etats-Unis (TAFTA), pourrait risquer d'obliger l'Union Européenne à s'aligner sur la dérèglementation libérale qui a permis, dans ces pays, aux brevets de deux ou trois multinationales semencières de s'emparer de plus de 90 % des semences agricoles cultivées (citons encore MONSANTO).


A suivre...


1 Convention Internationale de l’Union pour la Protection des Obtentions Végétales (1961)

2 Les semences de fermes ou « semences fermières » sont les graines récoltées à partir de semences sélectionnées par l’industrie semencière mais multipliées par l’agriculteur à la ferme par souci d’économie et d’indépendance.

3 Règlement (CE) N°2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994.

4 Pois chiche, lupin jaune, luzerne, pois fourrager, trèfle d’Alexandrie, trèfle de Perse, féverole, vesce commune, avoine, orge, riz, alpiste des Canaries, seigle, triticale, blé, blé dur, épeautre, pomme de terre, colza, navette, lin oléagineux. Règlement européen 2100/94.

5 Les semences paysannes sont issues de variétés reproductibles en transition, anciennes ou modernes mais sélectionnées par les paysans à partir de méthodes de sélection non transgressives du vivant et libres de droits de propriété intellectuelle.

6 Voir le documentaire « Le monde selon Monsanto » : http://www.youtube.com/watch?v=kv0cc07M7rc


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